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Petits contes de la lune et du déluge

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La lune.jpgDe nos jours, la spécialisation des savoirs génère de multiples cloisonnements, et fait obstacle à une vision globale.

L’ère numérique multiplie les échanges, mais réduit la communication authentique, comme une tour infernale dont les hommes seraient devenus prisonniers, condamnés à une solitude désespérante et à des entreprises titanesques.

Dans cet écosystème délétère, les théories du complot émergent comme un épiphénomène, dont le sommet, ou le serpent de mer si l’on préfère, est la remise en cause du fait qu’un homme n’ait jamais marché sur la Lune.

Par Maixent Lequain

Une thèse étrange diffusée initialement par un certain Bill Kaysing qui prétendait que les images de la conquête spatiale auraient en fait été tournées dans une base secrète, près d’Hollywood, peu de temps après la réalisation du film :  2001 l’Odyssée de l’espace.

Stanley Kubrick n’aurait d’ailleurs pas été étranger à ce sombre dessein … ce qui, si l’on y réfléchit bien, peut en revanche apparaître concevable.

Avec l’arrivée d’Internet et des réseaux sociaux, cette théorie connaissait une belle résurgence, au point que la NASA estimait devoir publier un ouvrage destiné à réfuter point par point les différents arguments développés par les complotistes.

Ainsi, à ceux qui exposaient scientifiquement qu’un drapeau ne saurait flotter sur la Lune en raison du manque d’atmosphère, ils apportèrent cette précision démontrant qu’ils avaient vraiment tout prévu : le drapeau était en fait maintenu déployé à l’aide d’une tige horizontale rigide. 

Là où certains complotistes avaient sans doute raison, c’est que ces expéditions étaient bien trop inhumaines, aussi dangereuses qu’héroïques et il est bien certain qu’aucune mission d’intérêt général ne saurait plus justifier à l’avenir de faire courir autant de risques à des astronautes. 

Et c’est d’ailleurs exactement ce qui se passé après qu’une navette Challenger se soit désintégré devant des millions de téléspectateurs, quelques secondes après le décollage.

Quoiqu’il en soit, seuls une poignée d’hommes partagent le privilège d'avoir volé autour de la Lune au cours des dix missions Apollo lancées entre décembre 1968 et décembre 1972.

Douze d'entre eux ont même posé le pied et marché sur la Lune et il est facile de supposer que leur destin a été à jamais marqué par cette prodigieuse aventure.

Mais si la plupart d'entre eux ont ensuite souvent poursuivi des carrières brillantes, certains semblèrent en revanche ne s'être jamais vraiment remis de cet extraordinaire voyage.

L’exemple le plus souvent cité est celui de James Irwin, pilote du module lunaire d'Apollo 15, qui racontait avoir continuellement ressenti au cours du voyage la présence de Dieu à ses côtés.

Il était donc assez logique qu’il devienne à son retour sur terre prédicateur et il fonda ainsi une communauté religieuse logiquement baptisée « High Flight ».

Mais James Irwin s'assigna également une nouvelle mission : retrouver les restes de l'Arche de Noé sur le mont Ararat, en Turquie, là où le bateau du récit biblique est supposé s'être échoué après le Déluge.

Irwin organisa ainsi plusieurs expéditions, qui seront malheureusement toutes des échecs, notamment la dernière, au cours de laquelle il se blessa gravement.

Certains considéraient cette démarche comme une excentricité, ce qui semblait bien vite expédier la motivation profonde de l’astronaute.

En effet, malgré ses activités scientifiques, Irwin était partisan de la thèse créationnisme. 

Il croyait fermement que Dieu avait créé l'univers, qu'il était nécessaire de reconnaître cela comme un fait, en rejetant les thèses évolutionnistes.

Chaque épisode de la Bible pouvait ainsi être attesté et quelle pouvait être la meilleure preuve de cette démonstration si ce n’était de trouver l'Arche de Noé !

De tout temps en effet, les vestiges religieux ont suscité la fascination et la convoitise.

La recherche de l’Arche d’alliance n’avait-t-elle pas entrainé les plus extraordinaires spéculations, alors qu’il semblerait qu’elle était simplement cachée dans une église enterrée d’Ethiopie.

Depuis Eusèbe de Césarée, précurseur du genre, la recherche des restes de l’Arche de Noé générait beaucoup de spéculation et qui aurait laissé entendre pour la première fois que l’Arche serait située au mont « Ararat ».

La montagne était alors évidemment difficilement accessible et ce n’est qu’au début du XIXe siècle qu’un certain Parrott gravit pour la première fois la montagne en écrivant dans son récit que « tous les arméniens étaient convaincus que l’arche de Noé était au sommet du mont Ararat ».

Ainsi globalement les chercheurs bibliques étaient d’accord sur le fait qu’après le Déluge, l’arche s’était échouée au sommet du mont Ararat, d’où un peuplement et une nouvelle vie aurait recommencé.

C’est donc dans ces conditions que James Irvin décida de se lancer dans l’aventure et d’équiper une expédition de recherche.

Ses premières ascensions eurent lieu en 1973, mais toutes furent alors vaines, la zone étant en outre adjacente à l'URSS, ce qui ne facilitait pas les choses.

En 1982, il organisa une nouvelle expédition, bénéficiant alors du soutien du président Turc, auquel il offrait en remerciement quelques reliques lunaires.

Mais si Irwin rêvait toujours de trouver l'arche, il échouait de nouveau et au cours de l'ascension, il fut même gravement blessé, au point qu’il fallut annuler toute l’expédition.

Irwin continua de revenir régulièrement sur le mont Ararat sans jamais rien trouver pour finalement renoncer définitivement à la recherche.

Il avait été capable de conquérir la lune, mais n'avait donc jamais été en mesure de trouver l'arche au point de déclarer un jour qu’il lui avait été bien plus facile d’aller sur la Lune.

Mais l'arche continuait de lui échapper, existait-elle au moins ?

Et le Déluge avait-il simplement eu lieu ?

Chaque jour en effet, le long des côtes, la mer ne monte-t-elle pas avant de descendre, parfois de manière spectaculaire, avec des amplitudes de plusieurs mètres ?

Dans la lointaine antiquité, certains croyaient même que ces marées étaient provoquées par la respiration d’un terrible monstre marin. 

Ce n’est finalement qu’à la fin du XVIIe siècle que Newton donna l’explication qui semblait la plus sérieuse : la loi de la gravitation universelle. 

C’étaient bien en fait, l’attraction réciproque de la Lune, et dans une mesure moindre, celle du Soleil, qui provoquaient le déplacement des eaux, plus spectaculaire encore au moment des équinoxes, en raison de l’alignement du Soleil avec l’équateur.

Mais l’interrogation pouvait toujours subsister : le Déluge avait-il réellement eu lieu ?

Un assyriologue avait découvert sur une série de tablettes d’argile, une épopée mythique, mésopotamienne comportant des similitudes troublantes, au point que certains estimaient que le récit biblique n’était qu’un vulgaire plagiat. 

Mais d’autres allégations ne prétendaient-elles pas aussi que les anciens égyptiens avaient consigné que le soleil s’est levé un temps à l’ouest, sans doute à cause d’un phénomène que les scientifiques actuels appellent une « excursion géomagnétique ».

Des savants évoquaient d’autres hypothèses comme la chute d’un astéroïde ou indiquaient qu’à la fin de la dernière ère glaciaire, le climat sur Terre avait brutalement changé pour générer une forte montée des eaux.

Toujours est-il que rien n’a jamais véritablement prouvé la survenance du Déluge à ce jour.

Finalement, mythe ou réalité, il apparaît que le Déluge participe généralement de deux aspects principaux :

L’un voudrait qu’un Dieu créateur, excédé par sa création, ait eu un jour envie de la détruire.

L’autre, heureusement salvateur, exprime le besoin répétitif de création cyclique, d’un éternel retour à un forme de chaos ou de néant, afin de pouvoir ouvrir un nouveau cycle de vie.

Sans créations et sans créatures, les Dieux ne resteraient-ils pas d’ailleurs totalement inconnus et inutiles ?

Mais encore une fois, devant le caractère fantaisiste ou aléatoire de toutes tentatives d’explication, il semblerait finalement plus cohérent de considérer que le Déluge, relevait bien du seul mécontentement divin tel que relaté dans l’Ancien Testament.

Selon la Genèse en effet, l'Éternel vit que la malice de l'homme sur Terre était grande, et qu’en fait toute l'imagination des pensées de son cœur n'était que mauvaise.

Il en fut si affligé et se repentant de sa création, il décida alors d’éradiquer toute trace de vie humaine.

Curieusement, seul Noé, trouva finalement grâce à ses yeux et reçut ordre de construire une grande Arche en bois dans laquelle il monterait en compagnie de son épouse, de ses fils et de leurs épouses et d’un couple de chaque espèce animale.

Les réservoirs du grand abîme cosmique furent alors rompus et les ouvertures du ciel se retrouvèrent béantes pour que les eaux du déluge s'abattent sur la Terre pendant quarante jours et quarante nuits.

Plusieurs milliers d’années plus tard, à des milliers de kilomètres de la terre, seul au monde ou mieux encore, seul avec Dieu, il n’est à pas douter que James Irwin avait eu l’occasion de méditer longuement cet épisode biblique.

N’était-il pas alors dans une situation tout aussi précaire, loin de tout foyer humain, dans l’angoisse la plus extrême et peut-être même déjà en charge, de manière prémonitoire, du futur de l’humanité ?

Il est évidemment aussi possible de se poser la question : pourquoi Noé avait-il été choisi pour construire l’Arche et pourquoi sauver sa famille ? Pourquoi sa descendance avait été choisie pour repeupler le nouveau monde ?

Quelques légendes courent : son père Lamech fut paraît-il pris de frayeur à sa naissance et s’enfuit auprès de son propre père Mathusalem lui indiquant avoir mis au monde un enfant différent, peut-être même un ange du ciel.

Mais outre son aspect spectaculaire et dramatique, le récit du Déluge renvoie surtout à une tradition première, passée et future, ainsi qu’à diverses variations autour des thèmes de l’expulsion et de la dispersion des peuples.

Le mythe de la tour de Babel est ainsi étroitement lié à celui du Déluge dont il constitue sans doute une forme de réplique, une mise en garde contre l’excès d’orgueil humain, tout en expliquant l’origine de la diversité des langues.

Toujours est-il qu’échaudés par le déluge, les descendants de Noé, résolurent donc à se mettre à l’abri d’un nouveau mouvement d’humeur divin et d’une éventuelle récidive diluvienne.

Ils se déplacèrent vers l’orient et trouvèrent une vallée où ils décidèrent de bâtir une tour assez haute pour relier la terre au ciel.

L’histoire symbolise encore aujourd'hui les désirs d’une humanité sans limites : Dieu sanctionne l'orgueil des hommes qui ont voulu sans discernement élever une tour et « se donner un nom ».

Le récit n’est d’ailleurs pas qu’une simple légende et comme le voyage sur la lune, la tour de Babel a en tout cas bel et bien existé. 

Il y a presque 6.000 ans, le long des fleuves de Mésopotamie des cités-Etats ont ainsi émergé, laissant en héritage d’impressionnantes tours, les ziggourats.

La plus grande était sans conteste celle qui se trouve à Babylone, sur les rives de l’Euphrate, Etemenanki : « La demeure du ciel et de la terre ».

Après la conquête perse, la construction fut laissée à l’abandon et quand il en visita les ruines, Alexandre le Grand, décida de la restaurer.

Mais le travail était proprement titanesque et Alexandre abandonna finalement le projet.

Cette merveille architecturale avait donc succombé aux ravages du temps et jusqu’au début du 20e siècle, tout ce que l’on savait de Babylone ne provenait plus en fait que des seuls écrits d’Hérodote et des récits bibliques.

En 1899, des archéologues allemands entreprirent une nouvelle exploration et un siècle plus tard, le dictateur Saddam Hussein décida enfin d’une restauration ambitieuse.

Mais Babylone « La Porte du dieu » était véritablement maudite et le projet ne vit jamais le jour avec l’arrivée des soldats américains à Bagdad.

Au-delà de toutes tentatives d’explications, le récit du Déluge et sa suite n’exprime-t-il pas la nostalgie d’un Âge d’or, d’un Eden originaire où les hommes vivaient en harmonie, se comprenaient, parlaient le même langage ?

A ce niveau, un épisode de la mythologie Aztèque est assez notable : lors du cycle du quatrième soleil, il est raconté l’épisode d’un Déluge et d’un couple de survivants ayant échoué au sommet d’une montagne.

Le récit indique encore que leurs enfants restèrent longtemps muets, jusqu’à ce qu’une colombe leur communique le don des langues - mais de langues différentes - avec lesquelles ils ne pouvaient malheureusement pas communiquer.

Mais la dispersion et l’apparition de peuples distincts relèverait en fait, non de la Tour de Babel, mais d’un épisode moins connu vécu par Noé et ses fils.

Après la grande affaire du déluge, Noé, seul survivant sur terre, avec sa femme et ses trois fils, Cham, Sem et Japhet se mirent en effet à cultiver la terre.

Dans une scène décrite au neuvième chapitre de la Genèse, il est relaté que Noé, ayant bu sans précaution le vin d’une vigne qu’il avait lui-même plantée, s’était endormi, nu, au milieu de sa tente

Par malchance, Cham, son fils benjamin, était entré sous la tente et buté sur son père dans cette situation embarrassante.

Il est sorti sur le coup pour rapporter à ses deux frères Sem et Japhet ce qu’il venait de voir.

Ces derniers avaient alors pris un manteau et étaient entrés à reculons, les visages détournés pour couvrir leur père sans voir sa nudité.

Comprenant plus tard selon leur récit que Cham avait pour sa part été pris d’hilarité en le surprenant dans le plus simple appareil, Noé entra dans une terrible colère et le maudit, ainsi que sa descendance en la personne de son petit-fils Canaan.

L’épisode semble pourtant anodin et la réaction n’était-elle pas démesurée ?

Il faut rappeler que selon la Genèse l’arbre de la connaissance du bien et du mal serait en fait une vigne.

Une fois le péché originel accompli, Dieu ne laissa-t-il pas aux hommes l’usage de cette plante ainsi que la boisson qu’on en retire, avec toutes les joies et tous les risques qu’elle est susceptible de générer.

Dieu lui-même confère d’ailleurs à la vigne et au vin une dimension symbolique, et même, selon la religion chrétienne, une voie vers la transcendance. 

S’interrogeant sur cet épisode et sur la nature de la faute de Cham, les commentateurs de la tradition juive, qui sont prolixes en la matière, en ont tiré de nombreuses explications diverses et variées et parfois surprenantes :

Selon une interprétation littérale Cham aurait tout simplement eu tort d’être indiscret, de ne pas recouvrir son père sans en parler à personne sans se moquer de lui.

Certains ont considéré que Cham, en lui manquant de respect, avait ainsi en quelque sorte castré plus ou moins symboliquement son père, ce qui n’était évidemment pas acceptable.

D’autres plus audacieux encore, ont même envisagée une relation incestueuse, avec sa mère, voire même selon certains avec son père.

 « La vigne que Noé planta, son ivresse, et sa nudité, et la suite de ce récit, tout cela est rempli de mystères et voilé de figures » dira Saint-Augustin.

Selon une interprétation plus hermétique encore, il semblerait que la nudité de Noé n’était en rien sexuelle, mais relevait d’une forme de révélation qui en faisait un véritable initié.

L’ivresse devait être entendue comme une extase mystique, une connaissance de rang supérieur, qu’il convient impérativement de voiler ou de protéger, ce que n’avait aucunement perçu Cham.

Il convient parfois de ne pas voir ce qui ne doit pas être vu, et cela fut en l’occurrence la faute de Cham que d’être là au mauvais moment, sans en prendre la mesure.

Quoi qu’il en soit, et indépendamment de cet épisode énigmatique, il nous faut surtout retenir que c’est bien à Noé que fut confié, dans la nuit des temps, pas moins que la préservation de la création.

Aujourd’hui, il nous faut surtout nous interroger : cette seconde chance qui lui a été donnée, et par lui, à l’humanité, a-t-elle été bien saisie ?

Dans son roman, « La Possibilité d'une île », Michel Houellebecq semble répondre en réitérant la mise en garde.

Si le roman d'anticipation est une réflexion sur la puissance de l'amour et le rêve d'un Homme Nouveau, il s'agit aussi d'un livre sur la peur :

« Cette planète est notre berceau mais nous l'avons saccagée.

 Nous ne pourrons plus jamais la soigner ni la retrouver comme avant :

Quand la maison s'effondre, il faut partir.

Recommencer tout, ailleurs et autrement.

 Le dernier Espoir, c'est la Fuite. »

Une nouvelle Odyssée humaine, c’est peut-être, ce qu’avait présent à l’esprit, James Irwin au moment où il accomplissait ses premiers pas sur le sol lunaire.

N’était-ce pas tout simplement une forme de révélation divine, faite consciemment ou pas, qui pouvait expliquer par la suite sa si étrange obsession pour l’Arche.

De nos jours, la peur d’une destruction de l’humanité n’est-elle pas insuffisamment présente à nos esprits ?

Plus que jamais nous devons nous engager à préserver la vie.

Il y a des milliards de planètes dans l’univers, et comme dans les temps les plus sombres, la survie des espèces, dont l’homme en particulier, doit s’organiser, de façon à repeupler une autre planète s’il le faut.

Que ce soit dans un lieu ou dans un autre, l’important n’est-il pas surtout de poursuivre l’aventure ?

Oui, tout cela devait peut-être être présent à l’esprit de James Irwin.

Et la Lune est si belle !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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