Un récent voyage en Espagne m’a mené en Andalousie, de Murcie à Séville, en passant par Cordoue sur les traces d’Alphonse X le sage (Tolède 1221- Séville 1284).
Par Franck GOUGEON
Ce monarque espagnol, déposé par ses vassaux, dont son fils en 1282, fut un des princes les plus éclairés de son temps ; il fut l'un des animateurs de tout le mouvement intellectuel qui se développa en Espagne au XIIIe s. « Peut-être mes rêves étaient-ils un peu trop grands pour ce siècle » disait-il alors qu’à ses yeux, l’Espagne et les espagnols « étaient au bord d’un grand éveil. »
Initié à la culture de l'Islam
Il passa sa jeunesse à Tolède, où l’évêque Raymond et ses traducteurs chrétiens et juifs l’initièrent à la culture de l’Islam. Il fit traduire le Coran et le Talmud en latin. Il considérait que « l’acte le plus glorieux de [son] règne fut de créer, à Murcie, avec le philosophe musulman Mohammed Al Riqouti, la première école au monde où enseignaient à la fois des chrétiens, des juifs et des musulmans. » De même, il avait exigé qu’à « Séville on enseigne dans les deux langues de culture de mon temps, l’arabe et le latin. »
L’un des cantiques écrit par Alphonse X le sage pronait ceci : « O mon Christ, qui pouvez accueillir le chrétien, le juif, le maure, pourvu que leur foi se dirige vers Dieu ”. Dans ses lois, comme dans ses prières, le monarque n’avait « jamais oublié que les mécréants sont de même sang et nature que nous. » A cet égard écrivait-il « mes légistes peuvent, avec fierté, vous lire mes codes : Comme la synagogue est maison où l’on glorifie le nom du Seigneur, défendons qu’aucun chrétien ait l’audace de la détruire ni d’en emporter rien ni d’en prendre aucune chose par force ». Il enjoignait son peuple à « laisser vivre les Maures parmi les chrétiens en conservant leur foi, et en n’insultant pas la nôtre. » Il pensait que sous son règne, « par les efforts des sages de nos trois religions, notre Espagne du XIIIème siècle pouvait éveiller l’Europe entière à une vraie renaissance : celle qui pouvait se faire non contre Dieu, mais avec Dieu. »
" Réfléchis par toi-même !"
A cette même époque, le Juif Moïse Maïmonide (Cordoue 1138 – Fostat 1204) encourageait ses contemporains à « accepter la vérité de quiconque l’a énoncée. » Pour sa part, le Soufi Ibn Arabi, (Murcie 1165 – Damas 1240) recommandait « de ne pas se confiner à une croyance particulière et de nier tout le reste, car beaucoup de bien vous échapperait. » Bien avant Emmanuel Kant (Königsberg 1724 - Königsberg 1804), il enjoignait les Hommes à réfléchir par eux-mêmes. « ‘Ceci est interdit ! Ceci est permis !’ nous disent les juristes. Mais jamais : ‘ceci est à inventer.’ Tu es responsable de toi-même. Réfléchis par toi-même ! Alors que le Coran nous y appelle à chaque page. À les entendre, il n’y aurait, entre Dieu et l’homme, que des rapports de maître à esclave. La foi et la philosophie commencent là où finit ce juridisme desséché ! »
Un siècle plus tôt Averroès (Cordoue 1126- Marrakech 1198), avait montré la voie. Décrit par certains comme l’un des pères fondateurs de la pensée laïque en Europe de l’Ouest, il expliqua que « notre philosophie ne servirait à rien si elle ne savait pas lier ces trois choses [qu’il a] essayé d’unir dans [son] « Harmonie de la science et de la religion » : « une science fondée sur l’expérience et la logique pour découvrir les causes ; une sagesse, qui réfléchisse sur les buts de chaque recherche scientifique pour rendre notre vie plus belle ; une révélation, celle de notre Coran. Car c’est seulement par révélation que nous connaissons les fins dernières de notre vie et de notre histoire. »
Le soleil espagnol du XIIIe siècle s’était couché avec Alphonse XIII et deux siècles plus tard il se levait sur Isabelle la Catholique (1451 Madrigal de las Altas Torres 1451 - Medina del Campo 1504) et l’Inquisition (1478 – 1834).
Le message hautement ouvert et respectueux des autres religions de ces hommes a touché l’Humaniste que je suis. Aussi dans la clarté déclinante du soleil de cette soirée andalouse, ai-je pensé à Shakespeare qui nous disait qu'« il n’est si longue nuit qui n’atteigne l’aurore. »